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Mot du Directeur

Université Pour Tous, lundi 2 octobre 2023

 

La beauté nous sauvera

 

Quand Chieko, dans le roman de Yasunari Kawabata, donne rendez-vous à son ami pour le hanami - littéralement regarder les fleurs - il s’inquiète de la bourrasque qui dénuderait les arbres et empêcherait d’admirer leur floraison.

- Retrouvons-nous devant les cerisiers. Même seul on ne se lasse pas de regarder ces fleurs.

- Oui, mais s’il y a un orage cette nuit et que toutes les fleurs tombent.

- Les pétales dispersés ont aussi leur beauté.

Il y a les orages et les fleurs qui tombent. Les pétales par terre.

Comme le pays. Même si tout le monde fait semblant. Tout coule comme si de rien n’était mais en réalité tout s’écroule, à commencer par nos infrastructures, abîmées, pourries, il suffit d’un orage pour s’en persuader. La justice piétine, les lois ne s’appliquent qu’aux plus démunis, l’argent est confisqué, l’état absent, les vampires impunis, notre dignité mise à mal tous les jours. Les chacals s’en sortent victorieux et la classe éduquée tend à disparaître. Car la misère n’est pas seulement sociale et économique, elle est surtout spirituelle. Les esprits libres et la pensée éclairée diminuent comme peau de chagrin. Ils sont partis, ou plutôt non, ils ont été chassés de leur terre par la stupidité au pouvoir et par les baïonnettes. Les classes des universités sont moins remplies, les étudiants plus calculateurs, ils n’ont plus de modèle, ils ont perdu leurs idéaux, nos mains elles-mêmes sont devenues moins généreuses. Aujourd’hui on célèbre la messe sans corbeille de fleurs. On inaugure l’année sans un geste d’encouragement. On se réunit à déjeuner en oubliant le vin et le gâteau, puis on s’en va sans un mot.

Tant pis l’essentiel n’est pas là.

Car il reste les pétales dispersés, qui ont aussi leur beauté.

Comme la beauté de tous ceux qui continuent à faire leur métier, dirait Albert Camus. Honnêtement. Du maître qui a le sens du devoir et du partage, de la transmission parce qu’il ne peut garder pour lui ce qu’il a appris des livres et de la vie. Parce qu’il l’enseignera, cette ferveur, en dépit de tous les malheurs. Des jeunes professeurs surtout, prêts à prendre la relève pour assurer la qualité académique de notre université. À contre-courant puisqu’ils retournent chez eux, dans leur Alma mater, cependant que la jeunesse quitte le pays et s’exile. La beauté aussi de tous ceux qui viennent et reviennent boire à la source du savoir et de la culture. Les gens arrivent encore chez nous, ils s’inscrivent à nos cours sans poser leurs conditions, la confiance au front et la solidarité dans les yeux. Ils savent, eux, combien l’enseignement est essentiel pour que se perpétue en l’homme sa part la plus haute, l’esprit de liberté et de vérité. La beauté enfin des étudiants en formation inclusive, de plus en plus nombreux, accourus de toutes les régions du Liban quand on leur a dit qu’ils avaient eux aussi leur place au sein de l’université. Et là, d’autres mains se sont tendues, ouvertes pour aider, soutenir, parrainer. Elles ont organisé des déjeuners, des dîners, des rencontres, au profit des bourses universitaires, et avec du cœur, de la bonne foi, elles ont surtout proposé leur écoute et leur amitié.

Car la beauté seule ne sauvera pas le monde. Il lui faut aussi la solidarité.

La misère et la merveille de l’humanité en toutes choses et à toute épreuve.

Et c’est dans l’épreuve que le divin se manifeste. Tous les matins, au réveil, nous secouons notre sueur de la veille et la bataille commence. Par l’éducation, la civilité, la dignité, par tout ce qui grandit l’homme au lieu de l’abrutir.

Voici pourquoi, plus que jamais, chers collègues et intervenants, chers auditeurs, chère famille de l’Université Pour Tous, nous traverserons ensemble l’épreuve de cette rentrée académique difficile. En beauté, qui aura pour nous la couleur des cerisiers.

Le thème de la beauté est l’objet du cours de littérature et, comme par miracle, il s’est rempli en premier, il affiche complet.

Les autres cours suivent : le cinéma, le matin et le soir, le chant, l’histoire, l’histoire de l’art, la jeunesse du cerveau, la musique, la mystique, la mythologie, la pensée et la philosophie, la politique, la psychologie, le roman-film, la santé. Tous les cours peuvent être suivis du Liban ou de l’étranger puisque la salle 1 sera désormais équipée du matériel nécessaire pour une participation en ligne.

Les ateliers reprennent dans l’espace annexe qui leur est consacré. Une dizaine de disciplines artistiques : l’aquarelle, le dessin, la peinture, la sculpture, le vitrail, la mosaïque, la céramique, la création.

La formation inclusive se développe pour les étudiants à besoins spécifiques : d’une part, des modules théoriques, l’horticulture, la restauration, l’hôtellerie, les arts et médias, les stages, et d’autre part, la transition vers le monde professionnel grâce à des orthopédagogues, des coaches qualifiés, des associations et des entreprises engagées.

L’Université Pour Tous à Beyrouth et à Jbeil accomplit du mieux qu’elle peut la mission de l’Université Saint-Joseph qui œuvre à « promouvoir une collaboration interdisciplinaire au service de l’homme et de son unité », à réaffirmer l’attachement à la diversité et à la tolérance en nous invitant à assumer une responsabilité dans la cité.

Le défi de l’Université Pour Tous se situe à la fois dans l’excellence académique et dans la qualité des relations conviviales qui se tissent au gré des cours, des activités, des sorties et des voyages. On arrive à l’UPT, comme l’appellent les habitués, non seulement pour se cultiver, mais pour cultiver en soi sa nature d’homme véritable, pour se transformer, pour rechercher le juste et le beau. Parce que, comme l’écrit Dostoïevski, « le besoin de beauté culmine lorsque l’homme est désaccordé par la réalité, en dysharmonie, en lutte avec elle, c’est-à-dire lorsqu’il vit le plus car le moment où l’homme vit le plus est celui où il cherche quelque chose et s’efforce de l’atteindre ; alors un désir tout à fait naturel d’harmonie, de calme, se manifeste en lui, et dans la beauté se trouvent à la fois l’harmonie et le calme ».

Et à ceux qui s’étonnent encore de ce que la culture soit payante, à ceux qui ne savent pas qu’elle fait partie des priorités, que l’art est pour l’homme un besoin, au même titre que manger et boire, qu’ils s’imprègnent de la pensée du grand écrivain russe : « Le besoin de la beauté est inséparable de l’homme qui, sans elle, ne souhaiterait peut-être même plus vivre sur terre ».

      Nous l’aimons, la vie, certes aussi éphémère que les pétales des cerisiers, mais dense et intense comme la pensée.

Vous trouverez le fil directeur de cette pensée dans le tableau récapitulatif et les programmes de notre brochure en ligne. Chaque flyer correspond à un cours. La couleur cerise renvoie à la beauté qui est gage d’harmonie et d’apaisement.

Vous pouvez vous inscrire dans nos bureaux ou en ligne jusqu’au 15 octobre 2023, auprès du secrétariat qui vous reçoit selon les horaires suivants :

  • Les lundi, mardi et mercredi | De 8 h 30 à 19 h 30
  • Les jeudi et vendredi | De 8 h 30 à 13 h 30

Et que nos classes restent ouvertes à tous ceux qui ont soif de beauté, qui sont prêts à l’accueillir sans aucune condition, qui ne demandent pas à quoi elle est utile ni ce qui peut s’acheter par son moyen ! C’est en cela, écrit Dostoïevski, que réside le grand mystère de la création artistique, et pour nous, le grand miracle de l’éducation.

 

Gérard BEJJANI

Directeur de l’Université Pour Tous

Le 1 – 10 – 2023